A propos des "Pièces jointes"

Ces "Pièces jointes" sont un complément au blog 1914-1918 : une correspondance de guerre où sont publiées les lettres échangées pendant la Première guerre mondiale entre Jean Médard et les siens, en particulier avec sa mère, Mathilde. (Pour toutes les informations sur Jean Médard, se reporter au blog de base).

On trouvera ici un billet sur tous les amis ou camarades morts dont Jean évoque le souvenir. Pour chacun :
- sa fiche de "Mort pour la France" avec sa transcription (en bleu) ; toutes ces fiches proviennent du site Mémoire des hommes ;
- tous les textes de la correspondance et des mémoires de Jean Médard le concernant (en italiques) ;
- dans la mesure du possible, une notice biographique (dans un encadré).
Merci d'avance à tous ceux qui pourraient me communiquer des informations me permettant d'étoffer certaines notices, ou tout simplement me signaler leur parenté avec la personne à qui le billet est consacré. (Mon adresse est dans le blog de base, sous l'onglet A propos du blog.)

Les articles sont publiés dans l'ordre des décès, les morts les plus anciens se trouvent donc en bas de la liste. Pour faciliter d'éventuelles recherches, vous trouverez sous la rubrique "INDEX" une liste alphabétique, avec un lien vers chaque article.

dimanche 28 juin 2015

Oscar LAROSE (1892-1916)

LAROSE
Oscar
Sergent
67ème régiment d’infanterie
Classe : 1912
Recrutement : Lille
Mort pour la France le 19 mai 1916
à l’ambulance11/XI de Bouif (Marne)
de blessures de guerre
Né le 20 août 1892
à Fournies (Nord)

Les sergents qui suivent un cours [cours divisionnaire de chef de section] de leur côté étaient avec moi, et je n’ai pas été peu étonné de voir parmi eux Larose, le petit sergent du 166, qui était dans la même salle d’hôpital que moi à Aix, que je voulais amener à Cette en permission. Il est maintenant ds un régiment de ma division, et j’aurai peut-être l’occasion de le revoir.
(Jean à sa mère – 27 mars 1916) 

J’ai été toute heureuse que tu retrouves Larose. Cela a dû être une joie pour lui comme pour toi. Est-il du 132 ?
(Mathilde à son fils – 1er avril 1916) 

Le cantonnement du 67 n’est pas loin du nôtre. J’espère bien revoir Larose tous ces temps-ci.
(Jean à sa mère – 2 avril 1916) 

Non Larose n’est pas au 132, mais au 67.
(Jean à sa mère – 6 avril 1916) 

C’est curieux vraiment cette rencontre avec Larose, j’en suis bien satisfaite.
(Mathilde à son fils – 6 avril 1916)

J’ai appris ce matin une nouvelle qui m’a fait grande peine. La mort de Larose ; tu sais le sergent d’Aix-les-Bains qui devait venir en permission chez nous. C’est déjà vieux, parait-il ; il a été tué par une balle en Champagne alors que la division y était encore en inspectant les lignes boches avec ses jumelles.
(Jean à sa mère – 8 juillet 1916)

Jacques de SEYNES (1895-1916)


SEYNES
Jacques Maurice
Aspirant
5ème régiment d’artillerie de campagne
Classe : 1915
Recrutement : Nîmes
Mort pour la France le 15 mai 1916
à hôpital temporaire 12 de Vadelaincourt (Meuse)
des suites de blessures de guerre
Né le 27 octobre 1895
à Lyon (Rhône)
 

                Je viens de causer avec Mme [Mathilde] de Larlenque qui m’a priée de te communiquer une chose douloureuse. La mort à Verdun de Jacques de Seynes que tu aimais beaucoup. Une âme d’élite m’a dit sa tante, qui donnait les plus grandes et les plus nobles espérances ! et l’avenir était en eux plein de promesses tu l’aimais bien je crois et sympathisais avec lui. Sa sœur aînée [Alix de Seynes] vient d’épouser son cousin [Raoul] de Cazenove pendant un congé de celui-ci. La seconde [Bénédicte de Seynes] est mariée à un [Roger] de Luze déjà depuis le commencement de la guerre. Je ne le savais pas – et je suis sous cette impression douloureuse pas entrain du tout pour accomplir ma tâche. J’ai soif d’avoir de tes nouvelles.
(Mathilde à son fils – 21 mai 1916) 
 
          Bien triste cette mort de Jacques de Seynes. Je crois que c’était le préféré de sa mère, qui doit être bouleversée. Décidément à Verdun les artilleurs payent trop largement leur part. […] Si tu peux trouver dans mon carnet d’adresses de Paris, celle des de Seynes, envoie-la moi.
(Jean à sa mère – 25 mai 1916) 

  
           Jacques de Seynes était le fils de Louis de Seynes (1867-1941) et de Suzanne de Cazenove (1871-1952). Outre les deux sœurs mentionnées dans cette lettre : Alix (1892-1973), épouse Raoul de Cazenove (1888-1972) et Bénédicte (1894-1979) épouse de Roger de Luze (1887 - ?), il en avait une troisième, encore enfant, Monique (1911-1995).
            Il avait aussi un frère, Raoul (1899-1951) dont Jean avait été le précepteur. Voici ce que ce dernier raconte à ce sujet dans ses mémoires (et qui explique pourquoi Mathilde donne dans cette lettre à son fils toutes les nouvelles de la famille de Seynes) :
« Pendant l’été 1912 pour me faire un peu d’argent j’avais accepté une place de précepteur dans la famille Louis de Seynes. Nous avons séjourné d’abord à Ségoussac, chez le vieux docteur de Seynes, grand’père de mon élève Raoul, puis à St-Félix-de-Pallières dans une propriété que les parents de mon élève avaient achetée depuis peu et installaient, enfin au château du Solier chez Mme de Casenove la grand’mère maternelle. À Ségoussac comme au Solier de nombreux oncles et tantes, cousins et cousines étaient rassemblés. Les membres de ces aristocratiques familles étaient sympathiques, mais mon élève était peu zélé et sa mère exigeait de lui qu’il travaille tout le jour. Elle le privait ainsi totalement de détente et de vacances et moi du même coup. »

Source : Archives départementales du Gard, fiche matricule de Jacques de Seynes
            Engagé volontaire le 1er mars 1915 pour la durée de la guerre, Jacques de Seynes avait été promu aspirant le 23 octobre 1915.

HF (28/06/2015, texte complété le 19/04/2017 par le paragraphe sur les informations militaires, grâce à la fiche matricule de Jacques de Seynes, dont Alain Stocky, que j'en remercie, m'a communiqué le lien.)
 
- Source pour toutes les informations généalogiques : Généanet, arbre Philippe Bourelly.
- Source pour les informations militaires : Archives départementales du Gard, fiche matricule de Louis de Seynes    

           

samedi 27 juin 2015

Philippe LÉO (1884-1916)

LÉO
Philippe
Sous-lieutenant
2ème groupe d’aviation-Escadrille 7
Classe : 1904
Recrutement : Seine 2ème bureau
Mort pour la France le 28 avril 1916
Au Pont Faverger (Marne)
Tué à l’ennemi
Né le 24 février 1884
A Paris (Seine)






Le courrier arrive. Rien de toi puisque hier j’ai été gâté. [Albert] Léo me dit avec beaucoup de tristesse la mort de son frère Philippe descendu avec son avion.

(Jean à sa mère – 11 mai 1916)






 
            Philippe Léo était un frère d’Albert Léo, pasteur très impliqué dans la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants, et ami très proche de Jean Médard.
            Philippe et Albert Léo étaient les fils d’Auguste Léo (1836-1900) et de Gabrielle Vernes (1842-1921). Philippe Léo était banquier à Paris.
 
HF (19/12/2016)
 
Source pour les informations sur Philippe Léo et ses parents : Généanet, arbre de Philippe Bourelly
 

 
 

  Source du texte suivant : blog L'escadrille 36

 
Philippe Gabriel Richard Léo.
Né le 24 février 1884 à Paris (75).
Classe 1904.
Recrutement du 2ème bureau de la Seine sous le n° matricule 2215.
Service militaire au 36ème régiment d'infanterie, à compter d'octobre 1902.
Profession avant-guerre : banquier.
Observateur de l'escadrille MF 36 du xxx au 21 juillet 1915.
Sorti de l'hôpital Pasteur, le 8 mai 1915.
Médaille militaire, le 16 juin 1915.
Croix de Guerre.
Brevet de pilote militaire n° 1138 obtenu à l'école d'aviation militaire d'Avord, le 2 juillet 1915.
Pilote de l'escadrille MF 7 du 11 septembre 1915 au 28 avril 1916.
Nommé Sous-lieutenant, le 5 janvier 1916.
Tué au cours d'une mission dans les environs de Moronvillers / Pont-Faverger (51), le 28 avril 1916.
Il faisait équipage avec le sous-lieutenant Lucien Sartori qui a également perdu la vie.
Une citation à l'ordre de l'armée à titre posthume, le 24 mai 1916.  

 
* Citation à l'ordre de l'armée à l'adjudant Philippe Léo, observateur de l'escadrille MF 36, le 13 mai 1915 : "A constamment fait preuve des plus belles qualités de sang-froid et de courage comme agent de liaison avec l'artillerie, puis comme observateur en avion. Toujours volontaire pour les missions les plus périlleuses. Le 27 mars 1915, a attaqué un Albatros armé et l'a contraint à fuir. Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, a pris quatre fois l'air pour tenter la destruction d'une grosse pièce ennemie que l'artillerie ne pouvait atteindre."

 
* Citation à l'ordre de l'armée au sous-lieutenant Philippe Léo, pilote de l'escadrille MF 7, le 24 mai 1916 : "Pilote d'une grande adresse, possédant le plus complet mépris pour le danger. Toujours volontaire pour les missions les plus périlleuses. A survolé le 15 mars 1916, le terrain d'une attaque à moins de 400 mètres pour mieux se rendre compte du résultat de l'opération. Le 28 avril 1916, a poursuivi une mission de reconnaissance dans les lignes ennemies en dépit d'un tir d'artillerie extrêmement précis qui a fini par mettre le feu à son appareil et l'abattre au sol, trouvant ainsi une mort glorieuse." 


Maurice DUGRIP (1896-1916)



DUGRIP
Maurice Marie Paul
2ème classe
53ème régiment d’artillerie de campagne
Classe : 1916
Recrutement : Montpellier
Mort pour la France le 17 mars 1916
à Verdun (Meuse)
de blessures de guerre
Né le 25 avril 1896
à Cette [Sète] (Hérault)

 
J’apprends aussi la mort de Maurice Dugrip et ça m’a peiné ; ce grand garçon plein de vie et de jeunesse !
(Jean à sa mère - 17 avril 1916)




 
            Maurice Dugrip était le fils de René Dugrip (1864- ?), un Sétois négociant en vins, et de sa femme Germaine Gourguet (1871- ?). Ils habitaient quai de Bosc, à Sète. Maurice avait deux frères aînés et une sœur plus jeune.

Il s’était engagé volontaire en décembre 1914. Il était canonnier.

Source : archives départementales de l'Hérault, fiche matricule de Maurice Dugrip
          En l'évoquant, Jean écrit affectueusement « ce grand garçon plein de vie et de jeunesse ! ». Sa fiche matricule confirme sa grande taille, il mesurait 1,77 cm. 

HF (19/10/2016 et 26/05/2017) 

Source : archives départementales de l’Hérault en ligne.
- Pour les informations familiales : acte de naissance de Maurice Dugrip et recensement de 1911 (vue 377 sur 1088). Ce dernier document permet de connaître les prénoms usuels de ses parents, René et Germaine, et la composition de la famille.
- Pour les informations militaires : registre matricule. Merci à Alain Stocky qui m’a communiqué les liens vers la fiche matricule de Maurice Dugrip et vers sa fiche MémorialGenWeb.


Jean Anatole Raoul LAURENT (1864-1916)


LAURENT
Jean Anatol [sic] Raoul
Commandant
132ème  R.I.
Classe : 1884
Recrutement : Troyes
Mort pour la France le 12 mars 1916
à Mourmelon le Grand (Marne)
Tué à l’ennemi
Né le 31 décembre 1864 aux Riceys (Aube)

 

            Cette dernière période de tranchée a été aussi calme, aussi paisible que l’autre, avec notre insouciance de jeunes ns ne pensions même plus à la guerre parfois. Nous avons travaillé à rendre nos abris plus confortables et plus solides.
            A la relève pourtant la réalité s’est brutalement imposée à nous, un obus est tombé sur le parapet du boyau de communication quand nous rentrions au cantonnement, il a blessé deux hommes, et l’un deux est presque mort ds mes bras. J’en suis encore bouleversé. (Je te donne ce détail par sincérité, pour ne rien te cacher. Crois bien malgré ça que notre secteur est exceptionnellement calme. C’est un accident : le premier décès à la compagnie depuis Septembre).
Source : JMO du 132ème R.I. - 12 mars 1916
 
            Un beau soleil, on cause, on rit, et soudain, avant même qu’on ait le temps de penser au sifflement, une explosion, une seconde d’affolement, une fumée âcre et noire qui monte, un corps ds une flaque de sang, et des gémissements. Je suis encore poursuivi par ces gémissements, et ces grands yeux bleus, déjà sans conscience, cette figure au teint blafard qui ne trompe pas. Le retour a été lamentable le long des boyaux des boyaux interminables que le dégel avait transformés en cloaques. Je marchais là tête baissée, moins ému d’avoir été une fois encore frôlé par la mort, qu’indigné, écœuré par la guerre. Quelle amertume ! La misère humaine s’étale là ds toute sa grandeur. Le mal moral, la souffrance, la mort.
            J’ai été apaisé par les paroles du sermon du la montagne : « Heureux les pacifiques, … heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés ». Dans un moment comme celui-là, l’Evangile prend son sens plein, dit le mot décisif, celui qui console.
            Pardonne-moi de te raconter tout ça, et surtout ne l’inquiète pas davantage. Je te répète que ce 88 sur le parapet de notre boyau de relève est un accident. La guerre est la guerre ; mais je te répète que même à la tranchée nous sommes vraiment peu exposés. Ici naturellement nous ne le sommes pas du tout.
            Nous sommes arrivés vannés. Les boyaux étaient en très mauvais état à cause du dégel. […]

(Jean à sa mère – 12 mars 1916)


           L'homme mort dans les bras de Jean peut avoir été le commandant Laurent, comme il peut avoir été le soldat tué au même moment par ce même obus.
          Jean ne témoigne que d'un seul mort, anonyme aux yeux bleus. Le JMO mentionne deux tués, ne citant que le nom de l'officier. Que ce billet rende hommage aux deux.
HF (3/10/2016)

André CORNET-AUQUIER (1887-1916)


CORNET-AUQUIER
Hector Frédéric Arthur André
Capitaine
133ème régiment d’infanterie
Classe : 1907
Recrutement : Chalon-sur-Saône
Mort pour la France le 2 mars 1916
à Saint-Dié (Vosges) hôpital
de blessures de guerre
Né le 2 juillet 1887
A Nauroy (Aisne)

 

Je viens de finir [mot illisible] en lisant quelques passages à Suzie la brochure du capitaine Cornet-Auquier, j’en suis toute remuée, profondément impressionnée. C’est sublime – comme je voudrais arriver aussi au vrai stoïcisme chrétien qu’il admire chez ses parents et qui est pour lui le vrai réconfort… Que c’est beau cette phrase... Nous ne mourons pas pour des dictatures vagues et pour des mots vides de sens, nous mourons pour des sentiments nous mourons par amour, par affection, par tendresse... et cet homme n’est plus pour cette vie.
(Mathilde à son fils – 6 mai 1917) 

J’ai beaucoup entendu parler du livre de Cornet-Auquier dont tu me parles. J’espère pouvoir le lire en son temps. Pour le moment je vis un peu au jour le jour, comme une bête.
(Jean à sa mère – 11 mai 1917) 
   
           André Cornet-Auquier était le fils du pasteur Arthur Cornet-Auquier (1855-1940) et de Frédérique Henriette Walbaum (1861-1918).
             Universitaire, il enseignait au Royaume-Uni quand il a dû rentrer en France le 2 août 1914, au moment de la mobilisation générale. Sous-lieutenant de réserve, il a dès le 12 septembre 1914 été promu capitaine. Il a combattu dans les Vosges, en particulier sur les pentes du Metzeral que Jean connaîtra si bien deux ans plus tard.
              Grièvement blessé par un éclat d’obus au ventre, il meurt le lendemain, 2 mars 1916, à l’hôpital de Saint-Dié. 
               En 1917, a été publié Un soldat sans peur et sans reproche, court ouvrage patriotique à la gloire d’André Cornet-Auquier, composé du discours prononcé par le pasteur Henri Gambier lors du service funèbre au temple de Châlons-sur-Marne, et d’extraits de sa correspondance.  
         On trouve en ligne une documentation abondante sur André Cornet-Auquier. Les deux sources suivantes ont été utilisées pour la rédaction de cette notice :
- Philippe van Mastrigt, qui publie un blog consacré à son grand-oncle, le chef de bataillon Charles Barberot (1876-1915) a mis en ligne le 12 mars 2016 un long article très documenté « Il y a 100 ans tombait le capitaine Cornet-Auquier ».
- Yann Prouillet a publié en 1912 sur le site du CRID 14-18 (Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918une notice sur André Cornet-Auquier et sur l’ouvrage qui lui est consacré. 
            Ces deux textes, outre une biographie détaillée, présentent des extraits très intéressants de la correspondance d’André Cornet-Auquier. Philippe van Mastrigt cite de longs passages, plus particulièrement (et c’est bien naturel) ceux où est mentionné son grand-oncle Charles Barberot. Yann Prouillet donne de courtes citations permettant d’éclairer la personnalité et l’état d’esprit du capitaine Cornet-Auquier. 
Source : archives départementales de la Saône-et-Loire, fiche matricule d'André Cornet-Auquier
Merci à Alain Stocky qui m'a communiqué le lien.
HF (23/01/2017, complété le 31/05/2017 avec la fiche matricule) 
 
- Source pour les informations généalogiques : Généanet, site Pasteurs de France.
- Sources pour la photo et les informations biographiques et militaires : les articles de Yann Prouillet sur CRID 14-18 et de Philippe van Mastrigt sur son blog.  

Louis DEPUIBOUBE (1863-1915)


DEPUIBOUBE
Louis Jules
Chef de bataillon
297ème régiment d’infanterie
Classe 1883
Recrutement : Dôle
Mort pour la France le 6 octobre 1915
à Epine de Védegrange (Marne)
Tué à l'ennemi
Né le 17 avril 1863
à Chaisey (Jura)


Comme Mme Depuiboube est une femme aimable. Je l’aime bien déjà de s’intéresser à notre revoir. Tu penses bien que j’y songe aussi, j attends seulement quelques jours. Je ne puis accepter son offre si aimable, mais, si elle veut bien me procurer un gîte à assez bon compte je serai bien heureuse. Remercie-la bien de sa bonté.
(Mathilde à Jean – 14 mai 1915)

Mme Depuiboube ne peut plus te recevoir chez elle à coucher, elle a une amie, je crois, mais à manger, oui. Je lui ai dit que tu n’accepterais qu'à condition de la faire au moins rentrer dans ses frais ; elle a fini par accepter. Elle te trouvera peut-être aussi une chambre à sous-louer où tu serais plus à l’aise qu’à l’hôtel.
(Jean à sa mère – 30 mai 1915)

Tout est prêt pour ton arrivée. Mme Depuiboube t’a trouvé une chambre tout près de l’hôpital, et tu n’auras qu’à donner ce que tu voudras au type à qui tu la sous-loues. Elle te prendra chez elle pour les repas. Si tu peux nous donner à l’avance l’heure et le jour de ton arrivée, elle viendra te prendre à la gare.
(Jean à sa mère – 2 juin 1915)

Voilà la 2e lettre que je t’écris de la journée. Celle-ci pour répondre à ta bonne lettre du 31. Si tu arrives à 10 heures du soir, ou de nuit, descends à l’hôtel Terminus. Le lendemain matin tu viendras à l’hôpital, Mme Depuiboube t’y retrouverait, te montrerait ta chambre et tu y porterais ou y ferais porter ta valise ds le courant de la journée. Si tu arrives de jour et si je sais à temps l’heure de ton arrivée Mme Depuiboube sera à la gare. Si elle n'y était pas pour une raison quelconque tu laisserais tes bagages au dépôt et viendrais à l’hôpital où ns ns débrouillerons. Ta chambre te reviendra si tu le veux bien à 1 fr. par jour puisque le jeune homme à qui tu sous-loues paye les 3 pièces 36 frs par mois. Tu pourras t’arranger très économiquement.
Quelques mots sur la famille Depuiboube. Le mari est commandant à la guerre. Elle, est comme tu le vois très gentille, très dévouée ; seulement un peu morose, désenchantée, pessimiste et surtout (il faut savoir cela pour éviter de gaffer) plus ou moins d’origine allemande. Mais je le répète cœur d’or, ne pensant qu’à rendre service. A la gare tu la reconnaîtras facilement : figure un peu rouge, blonde, forte, 45 à 50 ans. Elle a une fille très intellectuelle faisant ses études de sciences.

(Jean à sa mère – 2 juin 1915)

Une chambre lui est offerte par une de mes infirmières. C’est une Allemande devenue française par son mariage. Naturellement la guerre la déchire plus que quiconque. Elle est amère et dévouée. Quelques mois plus tard, elle devait perdre son mari.*
(Jean Médard, Mémoires, printemps 1915)

* Ce paragraphe des mémoires de Jean Médard ne figure pas dans la version définitive du texte, mais uniquement dans un brouillon retrouvé en février 2019.)




Louis Depuiboube était le fils d’Etienne Depuiboube et de Marie Eugénie Gareaux. Au moment de son incorporation en 1883, il était employé de commerce à Paris.
Il a épousé, le 7 décembre 1892, Regina Brauns (1868-1936), qui demeurait alors à Annecy. (Il avait obtenu pour ce faire, l’autorisation du gouverneur général militaire de Lyon.)
Sa fiche matricule donne des précisions sur sa carrière militaire : issu du rang, promu caporal en 1884, il est lieutenant en 1890, capitaine en 1902. Il a été libéré du service en 1909. On ne trouve par contre sur cette fiche aucune information sur ses grades et affectations pendant la période de la guerre.

HF (14/11/2019)

Sources :
- Archives départementales de Savoie, fiche matricule de Louis Depuiboube ;
- Bibliothèque Généanet pour les prénoms usuels de Louis Depuiboube et de Regina Brauns, et pour l’année de décès de cette dernière, ainsi que son âge au décès.


Pierre BENOÎT (1887-1915)


BENOIT
Pierre Alex*
Médecin Aide Major
12ème bataillon de chasseurs
Classe : 1907
Recrutement : Montpellier
Mort pour la France le 2 octobre 1915
à Gérardmer (Vosges)
des blessures contractées en service
Né le 12 mars 1887
à Cette [Sète] (Hérault)


* Axel, en fait, prénom de son oncle (et, je suppose, parrain) Axel Busck, armateur suédois à Marseille.
 
      Pierre est toujours en pleine action, pas de répit depuis un mois il ne s’est pas déshabillé.
(Mathilde à son fils – 29 mars 1915) 

Ces belles journées de convalescence et de vie familiale sont assombries par de tristes nouvelles : celle de la mort de Maurice Beau aux Dardanelles, celle de la blessure de Pierre Benoît dans les Vosges au début de Septembre.
(Mémoires de Jean Médard) 

4 sept 1915
Mon cher Jean
Me voici à mon tour au fond d’un lit avec un éclat d’obus dans le genou. Cela m’est arrivé au Linge il y a 4 jours. On m’a opéré avant-hier et j’ai depuis lors la jambe dans une gouttière. J’espère que tout marchera bien mais je ne me dissimule pas qu’il y a de grandes chances pour que je garde de la raideur de la jambe.
J’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre c’est la mort de Benoit aspirant au 12e  qui a été tué dans sa tranchée  il était de l’A de Lyon et m’avait dit avoir été avec toi au camp de vacances un chic type qui disparait. Je suis à l’hôtel du Lac à Gérardmer.
Bien des choses à tous les tiens
à toi
Pierre
(Pierre Benoît à Jean – 4 septembre 1915)

Gérardmer, le 24/9
Ma chérie, je pense qu’il te tarde d’avoir des nouvelles de l’opération de notre chéri et n’ayant pu le faire hier soir, je le fais vite aujourd’hui. Ns avons passé 2 heures d’angoisse bien grande, on est venu prendre notre pauvre garçon après 11 h. et on ne l’a rapporté qu’à 1 h moins le ¼ ; ce qui fait que cela a été si long, c’est qu’on l’a platré, qu’une première fois c’était trop petit et qu’il a fallu recommencer et laisser sécher ; ms ns qui ne le savions pas, c’était bien long !! On a drainé l’abcès inter osseux ce qui explique la hausse de température et c’était urgent de faire cette opération ! cela suffira-t-il ? les majors ne peuvent encore se prononcer : oh cette attente et cette angoisse, quand Dieu permettra-t-Il qu’elle soit écarté ! Le pauvre a atrocement souffert pdt 2 heures et puis les gémissements ont cessé, les crampes aussi et la nuit a été calme grâce à une piqure de morphine. C’est Laure [la sœur de Pierre] qui l’a veillé, elle le veille encore ce soir et ils en sont tous deux bien heureux.
Aujourd’hui il est assommé par tout l’éther qu’il a absorbé, bcp plus que hier aussi le pauvre n’a pas de la joie qu’il aurait eu s’il avait été mieux ; ce soir à 5 h, le colonel est venu le décorer à nouveau et lui apporter la croix de la légion d’honneur et une autre avec palme. Il l’a lui épinglé sur la poitrine et l’a embrassé en lui disant que cette croix si glorieusement gagnée aiderait à le remettre bien vite. Jamais je crois ns ne saurons tout ce qu’il a fait notre Gros [?], il ne ns avait même pas dit qu’il avait eu 2 citations à la brigade et 2 à l’armée. Ses amis disent qu’il a été admirable de courage et de dévouement, jusqu’à prendre à des moments très durs le commandement de sections privées de leur chef. Et maintenant après cette vie si active, si belle, le voilà cloué pr des mois peut être ds son lit ; mais si je le plains le pauvre de toute mon âme, je bénis Dieu de me l’avoir ramené, et je Lui demande ardemment de permettre que tout aille bien maintenant. C’est la température qui va de nouveau être notre angoisse journalière, ah ! si elle pouvait baisser ; quelle reconnaissance et quelles prières d’actions de grâce je ferai monter vers Celui qui peut tout !
Tu seras bien gentille de faire passer cette lettre à Jenny [Jenny Scheydt, une cousine], quand j’écris à l’une c’est pr les deux. Ds 2 jours je lui écrirai à elle ; embrasse la bien pour moi.
Tu sais par expérience ce que c’est que cette correspondance, de tous côtés on m’écrit et je veux répondre un peu à tout le monde. Laure m’aide bien, ms ns ne laissons jamais Pierre seul. J’espère le pauvre arrivera à dormir cette nuit, depuis 20 jours il n’a pu ainsi dire par dormir et depuis son opération pas du tout. Oh ! comme son père serait heureux et comme je le plains en ce moment encore plus, alors qu’il ferait si bon être réunis ! ms Dieu permet peut-être que nos bien-aimés partagent nos joies !
J’espère que tu vas bien et tous les chers tiens aussi ; si vous lui écrivez à notre Grand vs pouvez parler de son opération, ms ne faites aucune allusion à ce que l’on peut craindre encore. Je te laisse maintenant, j’ajouterai un mot demain pr donner des nouvelles de la nuit.
Chaudes tendresses à vous tous
Ta vieille Anna
(Anna Benoît à Mathilde - 4 septembre 1915) 

Jenny […] est montée ici me dire que les Bouscaren avait téléphoné pr ns prévenir de l’aggravation du mal chez Pierre. […] Ns avons eu hier Yvonne [Yvonne Bouscaren, l’épouse de Lucien Benoît, le frère aîné de Pierre] qui ne sait pas plus. Du reste la carte que je t’adresse et que tu as reçue Dimanche te dira tout ce que ns savons. Je ne sais où écrire. Je n’ai fait encore que télégraphier. Ces dames [la mère et les sœurs de Pierre] sont-elles encore à Gérardmer ou à Nancy. Tu devrais écrire à Nancy. Hugo me dit qu’il avait toujours été pensable que Pierre ne pourrait supporter l’amputation. Seuls les hommes très sains, qui n’ont fait aucun excès se remettent ! et puis on l’a faite trop tard. Je suis toute désemparée, je ne puis réaliser.
(Mathilde à Jean – 5 octobre 1915) 

J’ai déjeuné Lundi chez les Bolgert. […] Ils m’ont appris une triste nouvelle que tu connais surement, l’amputation de la jambe de Pierre. Donne-moi des détails lorsque tu les auras.
(Jean à sa mère – 6 octobre 1915) 

Pierre devait mourir à son tour un mois plus tard [le 2 octobre] dans un hôpital de Gérardmer, où sa mère et ses sœurs étaient venues le rejoindre. La mort de ces deux cousins [Pierre Benoît et Maurice Beau], auxquels j’étais très attaché, celle de tant d’autres, le souvenir des heures très dures passées aux Éparges et à l’hôpital, tout cela pèse sur moi. J’aime la vie et je vais avoir à affronter de nouveau les menaces précises et renouvelées de la mort. Pourtant je ne supporterai pas longtemps la vie de l’arrière, où l’on ne parle décidemment pas le même langage  que nous, où l’on ne comprend pas, où l’on s’installe dans l’existence comme s’il n’y avait pas la guerre. Je relis souvent Job dont les protestations et les questions angoissées correspondent assez bien à mon état spirituel.
(Mémoires de Jean Médard)   

J’ai appris hier par une lettre d’oncle Fernand [Leenhardt] la mort de Pierre. Pauvre tante Anna. Rien ne lui est épargné ; je me demande comment elle a supporté ce coup, elle dont la santé était déjà si éprouvée et qui se faisait tant d’illusions sur l’état de son fils. Les Bolgert m’avaient donné de mauvaises nouvelles, mais j’étais loin de m’attendre à ce dénouement-là. Pour nous aussi c’est un vide. Il nous aimait et nous le lui rendions bien. Je souffre de ne pouvoir parler de lui à personne.
(Jean à sa mère – 8 octobre 1915)  

Tante Anna […] est arrivée ce matin à 4 h 44 et j’ai fait diligence pour aller à la gare. J’ai été bien perplexe, par exemple. Elle avait prié Mathilde de ne dire à personne qu’elle arrivait, elle ne voulait voir qui que ce soit à la gare. Je me demandais si cet arrêt me concernait, et j’ai fini par passer outre. Je l’ai trouvée stoïque elle et ses filles, toutes souriantes Lucien arrivait en même temps pr sa permission de huit jours. Cela coïncidait à merveille.
            Je les ai devancés chez eux et là il y a eu un peu d’émotion. Elles m’ont lu les discours admirables prononcés sur sa tombe. Celui du colonel est remarquable et je le copierai pr te l’envoyer. Ce cher Pierre était adoré de tous et ses chefs et ses soldats l’ont pleuré à l’égal des siens. Dans un délire il demandait sa croix et la lançait comme un enfant.
            Ta tante demeure sans regrets. Seule l’amputation faite au moment même eut peut être sauvé mais il n’aurait pas donné sa jambe alors que rien ne laissait prévoir la catastrophe. C’est un tout petit éclat empoisonné sans doute qui a empoisonné le sang. On a d’abord enlevé l’éclat et l’étoffe qui avait pénétré, la peine est demeurée. On a fait une autre opération on a scié le tibia rétrécissant ainsi la jambe, puis on a amputé, jamais la peine n’a cédé un seul jour. Mais lui n’a jamais montré qu’il voyait l’issue venir. L’avant-veille il a prtant dit à son ami : Je crois que je me décolle et puis à sa sœur qui le veillait. Tu es si triste, tu as pleuré ? et il s’est endormi comme un petit enfant.
            Je suis sous cette impression si poignante je ne puis parler d’autre chose et j’ai tort tu n’as pas besoin de ces tristesses.
(Mathilde à Jean – 19 octobre 1915) 

Source : archives départementales de l'Hérault. Fiche matricule de Pierre Benoît
Merci à Alain Stocky qui m'a envoyé le lien.


   Condensé d’un texte écrit par Gilles Morlock* . 

 
Axel Pierre Benoît naît le 12 mars 1887 à Sète (Hérault). Issu d'une famille comportant plusieurs pasteurs de l'église réformée, dont son grand père[1],  il est le fils de Victor Benoît, et d'Anne-Marie (Anna) Bertrand. Il est le troisième de leurs quatre enfants. Il a un frère et deux sœurs.  La vie familiale est évoquée dans les mémoires de Jean Médard, cousin germain de Pierre Benoît[2] : « Les Victor Benoît étaient aussi pour nous une seconde famille. Ils habitaient au troisième étage d'une maison qui dominait l'Esplanade et leur maison était un peu la nôtre. Il ne se passait pas de semaine sans que nous prenions un ou plusieurs repas chez eux. Lui était directeur à Sète de la banque Castelnau. Elle, Alsacienne d'origine, ayant perdu ses parents très jeune avait adopté la famille de son mari et avait été adoptée par elle sans réserve. Elle régentait totalement son foyer, me semble-t-il, et passablement le nôtre. Ma mère était très sensible à l'opinion de "tante Anna" […] Lucien, le fils aîné, était celui de leurs quatre enfants avec lequel nous avions le moins de rapports. Plus âgé que moi d'une dizaine d'années, préparant les grandes écoles ou élève de Polytechnique, il était rarement à Sète. Par contre les autres étaient pour nous des frères et des sœurs; moins Laure, déjà une jeune fille, et qui fut quelque temps en pension en Suisse, mais certainement Pierre qui était de cinq ans mon aîné, un certain temps au Collège en même temps que moi, et surtout Madeleine, ma contemporaine».
 
Le docteur Pierre Benoît, médecin de marine
(Coll. H. Fillet)

Pierre Benoît passe son baccalauréat en 1904 à Montpellier, puis son certificat PCN le 4 juillet 1905. Il s’inscrit à la faculté de médecine en octobre 1905 et soutient sa thèse le 24 juillet 1912.
Parallèlement, il suit les périodes d'instruction militaire habituelles. Il est ainsi promu médecin aide major de 2ème classe de réserve le 3 octobre 1913[3].
Il devient ensuite médecin de marine marchande au service de la Compagnie des Messageries Maritimes. Il navigue à bord du paquebot Danube, puis à bord du paquebot Pacifique qui assure la liaison Sydney-Nouméa[4]. Pour cette raison, il établit sa résidence à Sydney le 12 juin 1914.

La guerre éclate alors qu'il est en Australie où l'ordre de mobilisation lui parvient. Le capitaine en second du Pacifique témoigne dans une lettre à sa mère[5] : «…votre cher Pierre était à bord le camarade de tous. Nous l'avons vu partir avec regret, nous avons accompagné à la gare ce brave qui voulait faire son devoir à tout prix et qui nous disait même : « Eh bien! Que dirait ma mère si je ne partais pas!» Voilà Madame, l'une des dernières phrases de ce noble cœur que j'ai pu entendre avant son départ d'Australie.»
 
A peine débarqué, alors qu'il est affecté à Montpellier, il demande l'attribution d'un poste sur le front, et rejoint le 12ème bataillon de chasseurs alpins le 3 octobre 1914.
Le bataillon est alors en position dans les Vosges, dans la région de Munster, sur les pentes surplombant Sulzern[6]. Le 19 février 1915, une violente attaque ennemie est déclenchée[7]. Lors de ces journées, Pierre Benoît, sous un feu violent de mitrailleuses, est allé chercher et a ramené son chef de bataillon, le commandant Martin, grièvement blessé. Son comportement lui vaut une première citation le 19 mars 1915, à l'ordre de la brigade pour «belle conduite pendant les journées des 19, 20, 21, 22 et 23 février 1915».
Le 30 juillet, le 12ème bataillon relève le 11ème en vue de l'attaque sur le Barrenkopf. L'attaque est déclenchée le 31 juillet, et permet d'enlever la position. La tranchée prise est retournée et la position organisée. Le bataillon doit repousser de nombreuses attaques acharnées pendant plusieurs jours dans des conditions particulièrement pénibles[8].  Pierre Benoît obtient une nouvelle citation, à l'ordre de l'armée : «Médecin d'un immense dévouement et d'un très grand courage. A assuré son service sous un bombardement continuel et violent».
Le bataillon est relevé le 12 août pour aller au repos au camp d'Haeslen jusqu'au 19 août. Il est alors placé dans le secteur du Linge. Le 31 août commence un bombardement d'une violente intensité comportant des obus suffocants. C'est au cours de ce bombardement, alors qu'il se consacre aux chasseurs blessés, que Pierre Benoît est atteint d'un éclat d'obus au genou. Il est évacué sur l'hôpital complémentaire d'armée de Gérardmer. Sa conduite lui vaut une nouvelle palme à sa croix de guerre et la croix de chevalier de la Légion d'honneur avec la proposition suivante : « A fait preuve depuis le début de la campagne du plus grand dévouement et du plus remarquable mépris du danger. Aux combats de 1915 est allé chercher et a ramené sous un feu violent de mitrailleuses son commandant de bataillon grièvement blessé. Pendant toute la durée des combats du 1er août, a assuré avec un inlassable dévouement et sous un feu meurtrier le service d’un refuge de blessés à proximité immédiate de la ligne de feu. Le 31 août a été grièvement blessé en prodiguant des soins à des blessés au cours d’un bombardement violent, et alors que son abri était rendu intenable par suite des émanations et des obus suffocants. A été proposé deux fois pour une citation à l'ordre de l'armée. A été cité à l'ordre de la brigade.»

Malgré les soins reçus et une amputation au niveau de la cuisse, son état s’aggrave subitement. Pierre Benoît meurt le 2 octobre 1915, à l'âge de 28 ans. Jean Médard l'évoque dans ses mémoires : «Pierre devait mourir à son tour un mois plus tard dans un hôpital de Gérardmer, où sa mère et ses sœurs étaient venues le rejoindre.»[9] Un avis de décès est publié dans le journal L'éclair du midi du 10 octobre 1915.


Pierre Benoît est inhumé initialement au cimetière communal de Gérardmer, puis réinhumé dans le caveau familial, au cimetière marin de Sète, sa ville natale, face à la mer qu'il avait tant sillonnée.
L‘historique du 12ème bataillon de chasseurs alpins évoque sa mémoire : « Le docteur Pierre Benoît était revenu d’Australie à la déclaration de guerre, il nous était arrivé en octobre. D’une constitution physique superbe, praticien consommé, sportif et artiste, il avait, au cours de ses voyages, su apprécier toutes les douceurs de l’existence qui semblait l’avoir traité jusqu’ici en enfant gâté et, partant, nul plus que lui n’avait un mépris aussi absolu du danger. Souvent, il s’était risqué à accompagner nos patrouilles en avant des lignes de Sulzern et, malgré sa haute taille, les balles jusque-là l’épargnèrent. Au Barrenkof, il fut inlassablement en première ligne et relevait nos blessés si nombreux. Il y fut touché au genou par un léger éclat d’obus ; une amputation suivit et, après une douloureuse agonie, il succombait à l’hôpital de Gérardmer. »[10]
 
Cargo Docteur Pierre Benoît
          En mai 1917, le conseil d'administration de la compagnie des messageries maritimes décide d'honorer sa mémoire, comme l'indique la lettre adressée à madame Victor Benoît[11] «…mes collègues et moi avons pensé que la fin héroïque de votre fils, mort des suites d'une blessure reçue en Alsace, après avoir été cité trois fois à l'ordre de la Brigade, deux fois à l'ordre de l'Armée et décoré de la Croix de Guerre et de la Légion d'Honneur, méritait particulièrement d'être commémorée ; un navire destiné à la Compagnie des Messageries Maritimes et actuellement en construction portera donc le nom de «DOCTEUR PIERRE BENOÎT». En rendant cet hommage public à un membre de notre personnel qui s'est particulièrement distingué au cours de cette guerre mondiale, nous avons entendu consacrer et garder fidèlement sa mémoire. Nous avons voulu aussi que, dans tous les ports que ce navire visitera, son nom rappelle le souvenir de l'un des nôtres qui a fait héroïquement le sacrifice de sa vie.» Le cargo «Docteur Pierre Benoît» est lancé en mai 1918, affecté à la desserte de l'Inde, de l'Afrique du Nord et du Levant, puis sur la ligne commerciale d'Extrême Orient. Rebaptisé Mount Kassion après sa vente en 1937, il sera torpillé et coulé en 1942.
La mémoire de Pierre Benoît est par ailleurs honorée dans le livre d'or des médecins morts pour la patrie, le livre d'or et le monument aux morts de la ville de Sète, une plaque au temple de Sète et la plaque commémorative de la faculté de médecine de Montpellier.  

Remerciements : Francine Benoît, Hélène Fillet, Cyril Leenhardt, Eric Mansuy.
 
Gilles Morlock 
* Gilles Morlock, ancien interne des hôpitaux de Montpellier, ancien chef de clinique à la faculté, médecin honoraire des hôpitaux a rédigé les notices biographiques d’hommage aux médecins et étudiants de la faculté de médecine de Montpellier morts pour la France pendant la guerre de 1914-1918.

[1] Lucien Benoît (1829-1908).
[2] Mémoires de Jean Médard : Hélène Fillet. Archives personnelles.
[3] Dossier d'officier. SHD 5ye 118475.
[4] L'encyclopédie des messageries maritimes.  http://www.messageries-maritimes.org/dpben.htm
[5] Francine Benoît. Archives personnelles.
[6] Historique du 12ème bataillon de chasseurs alpins. Paris, Ch. Lavauzelle, 1920.
[7] Journal des marches et opérations du 12ème bataillon de chasseurs alpins. SHD. 26N820/5.
[8] Daniel Roess. Hautes-Vosges 1914-1918. Les témoins. Bernard Giovanangelli éditeur, 2012.
[9] Jean Médard. op. cit.
[10] Historique du 12ème bataillon de chasseurs alpins.
[11] Francine Benoît. Archives familiales.